Résidence Le Manoir
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Brücke, Ludwig, Helmholtz, Du Bois-Raymond, avaient constitué une sorte de foi jurée – tout se ramène à des forces physiques, celles de l’attraction et de la répulsion. Quand on se donne ces prémices, il n’y a aucune raison d’en sortir. Si Freud en est sorti, c’est qu’il s’en est donné d’autres. Il a osé attacher de l’importance à ce qui lui arrivait à lui, aux antinomies de son enfance, à ses troubles névrotiques, à ses rêves ? C’est par là que Freud est pour nous un homme placé comme chacun au milieu de toutes les contingences – la mort, la femme, le père

Langage et tourment

Jacques  Lacan rend hommage à la découverte de Freud qui s’extrait du savoir de son temps pour en découvrir un nouveau,  parce que si les rencontres de ces trois contingences, la mort, la femme et le père sont nécessaires pour pouvoir aller au bout de la cure analytique, elles sont nécessaires, de structure, à faire un être humain, un homme comme le dit Lacan. La rencontre de ces trois contingences prend une forme différente pour les sujets. Cette rencontre, fortuite pour le sujet peut le confronter à un réel impossible à supporter, avoir un effet traumatique, alors s’il a la chance de rencontrer un analyste celui-ci peut l’aider à traiter ce réel insupportable par le symbolique, autrement dit en en parlant. … Le père est une des questions fondamentales que posait Freud,  nous avons tous un père plus ou moins présent, plus ou moins gentil…qu’est-ce qu’un père ? (Toute la théorie de la psychanalyse de Freud suit l’élaboration qu’il fait de la question paternelle, de la théorie de la séduction jusqu’au fantasme et au roc de la castration de la fin de la cure). La femme, comme question posée sur le sexe, la différence sexuelle, et la question de la castration maternelle, qui mène au Que veut une femme ? Quand à la mort, l’être humain est voué à la mort, mais comme le dit Freud la mort pas plus que le soleil ne se peut regarder en face. Donner la vie, c’est aussi donner la mort, le sujet humain, du fait de sa rencontre avec le langage, qui est la rencontre première, est d’emblée aux prises avec le sexe et la mort.

Rencontres

Ces rencontres, les enfants la font aussi inévitablement avec plus ou moins de bonheur ou de malheur, au sens de heurt avec le réel. Les adultes sont logés à la même enseigne, celle de la structure. La structure c’est la façon dont sont agencés les éléments les uns aux autres, et avec Freud et Lacan on en distingue trois : névrose (hystérie, obsession, phobie), psychose et perversion. La névrose désigne pour Freud une maladie nerveuse, dont les symptômes symbolisent le conflit psychique, refoulé. A la réalité le sujet névrosé substitue un fantasme et le sujet psychotique établit une nouvelle réalité par le délire. Parler de structure est important, non pas pour stigmatiser le sujet et lui coller une étiquette comme on l’a pensé il y a quelques années, mais parce qu’il est important de repérer la structure psychique du sujet qui s’adresse à nous, il y a une différence radicale entre névrose et psychose, difficile parfois à repérer, mais cela indique que le rapport du sujet au langage est différent, et qu’il faut le prendre en compte pour l’aider et ne pas le maltraiter plus. Ne pas prendre en compte ces distinctions peut mener jusqu’à la maltraitance, surtout dans les institutions de soins.

 

Le tourment tormentum, est un mot d’origine latine qui désignait une machine de guerre reposant sur la détente de cordes enroulées autour d’un cylindre, un des sens de ce mot est instrument de torture, qui a produit le sens figuré de souffrance.  Ce mot est dérivé du latin tordre ; tourmenter, c’est infliger de souffrances physiques ou morales, exciter vivement, en parlant d’un besoin d’un désir, être l’objet de vives préoccupations. De l’excitation à la souffrance cela nous évoque le mot jouissance, signifiant lacanien, qui ne veut pas dire plaisir, la jouissance c’est l’au-delà du principe de plaisir, ce qui confine à la douleur. Ce qui tourmente les sujets c’est la jouissance et la jouissance tourmente tout le monde.

Entrer dans le langage

Qu’est-ce qui tourmente les enfants ? Mais qu’est-ce qu’un enfant ?  L’enfant est d’abord un objet, objet du désir de l’Autre, en tant que pur vivant, mais pur vivant, organisme il ne le reste pas longtemps, puisque dès la naissance, et même avant d’ailleurs, il est immergé, plongé dans le bain de langage dont il ne sortira plus. L’Autre est là pour faire entrer ce petit organisme dans le langage, et dès lors l’organisme devient un corps, un corps dont les zones érogènes seront découpées par le langage et la pulsion. Il faudra aussi dès lors en passer par les mots et par l’autre pour obtenir quelque chose. Ainsi se comprend cette formulation de Jacques Lacan que le désir c’est le désir de l’Autre. L’Autre est à la fois une instance mythique et imaginaire, Lacan en fait le lieu du trésor des signifiants, c’est-à-dire le lieu du langage, c’est à ce titre une instance symbolique, mais c’est aussi cette figure de l’Autre primordiale incarnée par la mère, celle qui introduit l’enfant dans le langage, il faut donc en passer par les défilés du langage, et s’aliéner à l’Autre pour vivre. Le désir c’est le désir de l’Autre parce que c’est l’Autre qui va répondre au cri de l’enfant et c’est la réponse qui fera du cri qui n’est rien d’autre qu’un cri un signifiant , un signifiant de la demande, si tu cries c’est que tu me demandes quelque chose. Parce que le cri n’est rien d’autre qu’un cri, c’est la réponse qui littéralement l’interprète qui en fait une demande. Mais encore faut-il un autre qui interprète à peu près correctement, qu’il suppose que là il y a un sujet, différent et séparé.  Il ne suffit pas de satisfaire les besoins premiers d’un enfant pour que celui-ci accepte de vivre, et d’entrer dans le langage, il faut un désir qui ne soit pas anonyme.

La perte

Du pur vivant au sujet, il y a la morsure du signifiant, la morsure du langage qui fait de l’organisme un corps dès lors séparé de sa jouissance. Il faut pour cela que le petit d’homme consente à une perte première, une perte qui est une partie de lui-même. Lacan précise qu’au moment de la naissance ce que l’enfant perd c’est une partie de lui-même, sous la forme des enveloppes, le placenta, ce que l’on appelle et pas pour rien les caduques. En échange de cette part, pourrait-on dire, que gagne l’enfant ? Il y gagne une place dans le désir de l’Autre s’il est pour sa mère « une apparition dans le réel de l’objet de son existence », place absolument nécessaire pour qu’ait lieu ce processus symbolique d’entrer dans le langage, et le monde de l’humain. Mais du fait de la prématurité de sa naissance cela ne peut s’opérer seul, il y faut l’Autre.  Ce désir pas anonyme, « c’est la marque d’un intérêt particularisé, le fut-il par la voie de ses propres manques [1]». Autrement dit, la mère n’est pas une perfection, elle fait aussi avec ses manques et c’est mieux comme ça ! Mieux vaut qu’elle ne sache pas exactement ce que veut l’enfant, ou plutôt qu’elle ne croit pas qu’elle est seule à savoir ce qu’il faut pour son enfant. Cette perte première est aussi une perte de jouissance mythique liée à un objet qui apporterait toute la satisfaction, l’objet et la jouissance sont dors et déjà perdus, ce qui permet au désir de s’installer, c’est ce que dit Freud dans un texte précoce qui date de 1895 : « Ainsi le premier but et le plus immédiat de l’épreuve de réalité n’est pas de découvrir un objet de la perception réelle correspondant à ce qui a été imaginé, mais de redécouvrir cet objet de se convaincre qu’il est toujours là[2] », « Mais de toute évidence, une condition nécessaire à l’épreuve de réalité est que les objets ayant jadis procuré quelque satisfaction réelle aient été perdu[3]». 

Demande-désir

Du vivant au sujet, ainsi naissent les enfants. Pris dans le désir de l’Autre qui leur donne naissance et qui dans le meilleur des cas les introduit à la dimension langagière. Pas d’autre moyen dès lors, que d’en passer par le langage, mais le langage ne dit pas toujours ce que l’on voudrait dire, c’est même le cas le plus fréquent, on demande quelque chose et on en obtient une autre, les mots ne disent pas tout à fait, voire pas du tout, ce que l’on veut dire. C’est cela l’inconscient.  Qu’est-ce que c’est ? Comment on fait ? Les enfants questionnent jusqu’à plus soif, jusqu’à l’agacement des adultes, qui peuvent s’émerveiller de la curiosité insatiable de leur rejeton, mais parfois ils craquent, parce que rien ne peut venir combler l’écart entre le mot et la chose, entre le mot et la chose que veut l’enfant, rien ne comble l’écart entre la demande et le désir, toujours désir d’autre chose. Quand pour certains enfants ce n’est pas tout le langage qui est une énigme : un jeune garçon schizophrène nous demandait pourquoi les objets portent le nom qu’ils portent, pourquoi une table s’appelle une table, il trouvait obscène que l’on appelle les perruches les perruches, et faisait subir le même questionnement à son nom. Quand les mots n’ont plus la fonction de représenter les choses, alors plus rien ne tient en ce bas monde, puisque rien n’y tient que par le langage.

Cette morsure du langage qui fait de l’organisme un corps, cet écart entre la mot et la chose c’est cela aussi que l’on appelle castration, castration de jouissance, cette jouissance que le sujet pense avoir perdue avec l’objet et qu’il recherche, c’est cela le désir. On pourrait alors dire que ce dont souffrent les enfants et les adultes c’est du langage.

[1] Lacan Jacques, Deux notes à Jenny Aubry, in Autres écrits

[2] Freud Sigmund, esquisse d’une psychologie scientifique in La naissance de la psychanalyse, Ed. PUF

[3] Ibid., p345